L’Emile se penche sur les belvédères

Coups de coeur, Le Mag

… Pas trop, pour ne pas tomber…

Monsieur Keller, dans sa recherche sur le calcul du méridien par Delambre et Méchain, parle du belvédère Béthune Charost. 

Le duc de Charost, bienfaiteur de Meillant et du Berry, a fait construire ce belvédère en 1765

L’Émile a trouvé intérêt de se pencher sur les belvédères, pas trop… pour ne pas tomber !  

E pericolo sporgesi comme disent les italiens, les « inventeurs » du belvédère moderne.

Le Premier belvédère de l’Histoire ?

Les chasseurs paléolithiques devaient, comme nous aujourd’hui, prendre un long temps de contemplation de la campagne environnante et lointaine, quand ils arrivaient en haut de la roche de Solutré

Ils regardaient l’hécatombe à leurs pieds, passaient la langue sur leurs lèvres et levaient la tête pour admirer au loin la Bresse, le Jura, et quand il faisait beau, le Mont Blanc à 150 km. C’était, L’Émile ose le dire, il y a cinquante mille ans, le premier belvédère de l’histoire humaine.

Et puis tout le monde sait que l’Agriculture inventée, les chasseurs-cueilleurs devenus paysans ont regardé la terre. 

Les chamans et les prêtres communiquaient avec le ciel. Les chefs, les puissants continuaient à regarder au loin. 

Mais ils n’auraient pas dû regarder trop loin !

Un peintre roman de la fin du 11ème siècle nous le rappelle ; du haut de la nef de Saint-Savin-sur-Gartempe, on peut voir la famille de Noé installée au troisième niveau de l’arche. 

Elle scrute l’immensité de la mer. En fait, les derniers hommes nous regardent de leur belvédère. 

Ils sont seuls au monde, tous les autres, qui avaient remplacé Dieu, sont noyés. 

Noé et les siens contemplent en nous regardant les regarder, l’avenir de l’humanité.

Les belvédères antiques  

Mais revenons à des images plus heureuses. Vers 600 avant notre ère, le roi de Babylone, Nabuchodonosor II, pour plaire à sa femme Amytis et au peuple qui patauge souvent dans l’eau de l’Euphrate, fait construire une ville en hauteur, et planter des jardins magnifiques. 

Il n’y avait pas de prix Nobel en ce temps là, mais les auteurs anciens (Bérose, Strabon, Flavius Josèphe, Pline l’Ancien) lui décernent le prix de Merveille du monde. Il embellit la ziggourat du dieu Marduk haut de sept étages d’où l’on découvre très loin la Babylonie. Ce roi a aussi un coté méchant, il cause les malheurs du peuple hébreux, qui ne veut pas lui payer tribut, en le déportant. 

Il détruit le temple de Salomon et brûle Jérusalem. 

L’Émile constate qu’on peut en même temps créer un belvédère magnifique pour regarder au loin et détruire un temple mythique qui permettait de regarder en haut.

Au même moment, à peu prés… c’est Anna Perenna, la Carthaginoise qui regarde du haut de son belvédère les préparatifs de départ d’Enée, le troyen qui a séduit sa sœur Didon et qui la laisse tomber lamentablement en invoquant la demande pressante d’un Dieu de l’Olympe, Hermès, (pas le fabriquant de sacs, l’autre), pour abandonner la pauvre reine de Carthage. 

« Anna, uides toto properari litore circum ? » 

(« Anne, vois-tu comme ils se hâtent sur tout le rivage ? » Enéide de Virgile).

Les pharaons ne sont pas en reste pour construire des terrasses en haut de leurs palais et temples et ainsi admirer les couchers de soleil sur le Nil. 

Souvenons-nous des très chères images de Cléopâtre, Jules et Antoine dans le film de Mankiewicz avec Elisabeth Taylor, Rex Harrison et Richard Burton (1963).

Tout le monde y va de son point de vue. Les Grecs comme les Mèdes et les Egyptiens prennent de la hauteur pour surveiller et admirer les paysages.

A Ségeste, les Elymes de Sicile ont construit le temple d’Héra au cinquième siècle avant notre ère comme un belvédère ; ils construisent encore plus haut un théâtre qui domine le temple et la campagne. Le vertige nous prend à la prodigieuse vue en Technicolor jusqu’au golfe de Castellamare.

Goethe de Weimar et L’Émile de Meillant visitent le site ; leur séjour en Sicile leur laissera de fortes impressions : 

« On ne peut se faire aucune idée de l’Italie sans la Sicile. C’est ici que se trouve la clef de tout » (15 avril 1787)

Après la Pax Romana, mille ans de fureur, de famines, on ne prendra plus le temps de regarder. On s’organise pour surveiller fiévreusement les éventuels envahisseurs.

Le belvédère est alors tour de garde, mont de feu. 

Dans tous les Montigny de France on garde du bois et parfois on le brûle dans de grands brasiers pour prévenir les villes fortes voisines de l’arrivée imminente de la belliqueuse troupe armée. 

Ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ? 

Cham (Amédée Charles de Noé, dit) 1863 – Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Dans le conte de Charles Perrault (1697), la tour belvédère est utilisé comme un élément vertical, qui tire, d’un monde horizontal terrifiant, plein de sang, les personnages vers le haut. 

La femme de barbe bleue est en prière dans une pièce haute de la tour, pendant que sa jeune sœur Anne guette, avec angoisse, du haut de ce belvédère, l’arrivée de leurs sauveurs :

« Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie. »

Cette figure du buveur de sang français est bien enracinée dans l’imaginaire collectif : comme compagnon de Jeanne d’Arc, figure positive, le terrifiant Gilles de Rais son avers démoniaque. Il n’a vécu que trente cinq ans 1405-1440 mais quelle vie extraordinaire.

Un siècle après vers 1530, là-bas au bout du monde, Pizzaro et ses tueurs découvrent les constructions incas. Les places, les temples sont de magnifiques belvédères sur la Cordillère des Andes.

Le belvédère moderne : un Belvédère pour le négoce et un belvédère pour le plaisir.

Avec le commerce international qui se développe sur mer, les occidentaux, Hollandais, Portugais, Espagnol puis Anglais et Français, ne veulent plus dépendre uniquement des routes de la soie qui partent de Chine pour arriver en Europe, principalement par mer avec les génois et les vénitiens. 

Les ports se développent, des maisons de commerces voient le jour. Et pour surveiller la mer, savoir quels bateaux arrivent, ennemis ou amis, on construit des belvédères sur les maisons portuaires, tournés vers la mer. 

Comme au Havre, à Auray, Hennebont et Le Croisic, à Saint-Martin-en-Ré, mais aussi à Cadix, Lisbonne (les fameux miradors) ou Malaga.

Mirador, lisbonne

C’est un pape qui, fatigué de regarder le ciel, va placer le belvédère dans la grammaire architecturale moderne. Les papes sont rentrés à Rome (1378) après leur séjour en Avignon. 

Innocent VIII (1484-1492) fait construire un petit belvédère pour admirer la campagne romaine. Rien de spirituel chez ce pape. Il est méchant de face et de profil.  Inquisition (Torquemada), népotisme, prévarication, il a tout tenté et tout réussi dans la corruption et la débauche.

Avec la Renaissance, la redécouverte de l’architecture romaine (par les dix livres de Vitruve), les puissants du moment vont se faire plaisir. Il nous reste des témoignages magnifiques. 

À Prague, pour la reine Anne, Ferdinand fait construire un merveilleux belvédère (1538). 

Le Belvédère de la reina Anne, Prague

De nombreuses familles italiennes puissantes demandent aux architectes de surmonter leur villa ou palais d’un belvédère, [voir la Villa Médicis à Rome (1544)].

Sangallo et Vignola, (1559) construisent un palais belvédère pour Alexandre Farnèse à Caprarola.  

La campagne de Viterbe dans le Latium est tellement belle qu’il faut la découvrir dans toutes ses perspectives, la forme pentagonale de la villa le permet.

En France après 1630, Louis XIII accepte que Guy de la Brosse crée le jardin des plantes ; il y inclut une « montagnette » qui sera transformé par Buffon en 1788 en une gloriette en métal, la première au monde. 

Les amoureux du jardin des plantes l’on fait restaurer en 2018.

Il est impossible de comptabiliser tous les belvédères modernes. 

Celui duc de Béthune-Charost, en lisière du massif forestier de Meillant, en fait partie. 

Image 3 D © Sylvain Lefranc - agence s41 Toulouse
Image 3 D réalisée par Sylvain Lefranc, architecte DEHMONP, atelier S41, Toulouse d’après les croquis de Mr J.P. Keller

On peut en citer un modeste – le belvédère pour Louis de Talaru (vers 1740) dans le domaine de Chamarande dans l’Essonne ;  

Pavillon du belvédère (1740-1745), parc du château de Chamarande 

un plus grand – le belvédère du Petit Trianon pour Marie Antoinette (1778) par Richard Mique ;

Jardin anglais du petit trianon, Versailles

 

un  majestueux – le belvédère de la maison Pachkov à Moscou (1788) par Vassili Bajenov en face du Kremlin.

Ils sont tous faits pour une élite qui profite du plaisir de vivre comme le « pavillon » qui sert aux amours libertines dans Point de lendemain de Vivant-Denon (1777). 

Le belvédère d’aujourd’hui

Avec le temps du touriste est venu le temps des belvédères.

Pour toutes les régions du Monde ou il y a des « points de vue », il y a construction d’un belvédère. 

On fait appel aux plus grands architectes du moment pour la conception de belvédères virtuoses. 

Au Canada à Toronto dans la tour CN (architecte John Andrews), un belvédère (à 346 mètres) permet aux spectateurs de découvrir la ville sur 360°. 

La Tour CN – Toronto

Aux Etats Unis en Arizona, le Skywalk (architecte David Jin) au dessus du Colorado (à plus de 1100m, construit par les français pour les indiens Hualapai). 

Walk on a glass bridge suspended over the Grand Canyon
Courtesy Grand Canyon West

En Asie, le belvédère sur la Pearl Tower de Shanghai (architecte Jia Huan Cheng) (350 m), le belvédère de la Tour de Canton à Guangzhou (architectes Mark Hemel et Barbara Kuit) (488m). 

Tour Guangzhou – Cine

Dans les riches villes de la péninsule arabique, le belvédère du Burj Khalifa de Dubaï (architecte Adrian Smith) (555 m). 

Pic by Sophiejames | Dreamstime.com

Ces modernes tours de Babel donnent le vertige à L’Émile !

Près de nous le belvédère de Saint-Andelain, dans la Nièvre, une des plus belles vues du Val-de-Loire dit la brochure. Et aussi, le belvédère d’Apremont-sur-Allier, dans le Cher.

Le belvédère d’Apremont sur Allier

On peut aussi admirer des belvédères plus conceptuels comme celui de Cergy-Pontoise, la tour belvédère de l’architecte israélien Dani Karavan au centre de l’immeuble en demi-cercle de Ricardo Bofill.

Cergy Pontoise

Cette démocratisation du belvédère nous ramène aux premiers regards du chasseur cueilleur sur notre magnifique terre.  

Synonymes de belvédère que l’on trouve dans les textes qui parlent de « bello-vedere » comme on dit en Italie : mirador, gloriette, plate-forme, terrasse, pavillon, gazébo, pièce haute, donjon, oriol, tourelle, lanterne, lanternon, chambre de guet, guette !

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